Mon Histoire
Il y a sept ans, alors que je montais dans un avion vers le Costa Rica et le mariage de mon amie Maria dans la jungle, j'ai appris que j'étais enceinte.
Dans cette forêt luxuriante, débordante de vie, j'ai passé une semaine à réfléchir à la décision la plus difficile qu'une femme puisse prendre.
J'avais 33 ans, mon corps était prêt, mais pas moi. Je vivais dans un petit appartement de Brooklyn, cherchant des concerts à droite et à gauche. Je partais de plus en plus en tournée, et ma carrière était ma priorité.
Toute femme ayant traversé cette épreuve sait combien elle peut être traumatisante. Un de ces conflits entre le cœur, l'esprit et le corps. De cette grande douleur est née la chanson "Inside and Out", qui deviendra bien plus tard un titre d'A Fleur de Peau.
C'est à cette époque que j'ai rencontré le producteur Jake Sherman, par un ami commun. Je suis allé à son studio - alias son salon - pour enregistrer la chanson. Elle lui a beaucoup plu, et il m'a encouragé à lui en montrer d'autres, pour que nous puissions travailler ensemble. Assise dans le placard qui servait de cabine vocale, j'ai enregistré quelques autres brouillons abandonnés dont Back to You et Here. Je ne serais pas là aujourd'hui sans Jake et sa foi en mes chansons.
Très vite la vie a repris ses droits et, dans l'espoir de réparer mon cœur brisé par une rupture difficile, j'ai déménagé à la Nouvelle Orléans, en quête d'inspiration et d'une nouvelle vie. J'ai mis de côté le projet avec Jake, parce que je ne vivais plus à New York, mais surtout parce que j'avais beaucoup de mal à m'assumer comme songwriter.
Je suis tombée raide dingue de la Nouvelle Orléans, et je me suis sentie immédiatement adoptée par la communauté locale. La façon dont les gens d'ici jouent et vivent la musique me rappelle les manouches avec qui j'ai grandi, mêlés -comme moi - de la culture caribéenne qui a bercé mon enfance en République Dominicaine. L'important est de se rassembler, de partager, de faire la fête et de s'amuser !
Pour contrebalancer cette ville exubérante et saturée d'énergie, il me fallait de la sérénité, un silence profond. Depuis le mariage de Maria, j'étais donc retournée une fois par an dans sa maison dans la jungle, y passant chaque fois un peu plus de temps. Être entourée par cette nature féconde me ramenait à ma simple humanité, au-delà de mon identité d'artiste. Il fallait toujours quelques jours avant que le l'agitation et le brouhaha retombent, pour que le silence s'installe.
Je me suis rendue compte à quel point ce lieu m'inspirait. Des jours entiers assise sur un rocher avec mon ukulele, j'attrapais au vol les chansons que me chantait le fleuve.
Juste avant que la pandémie n'éclate, j'avais acheté la parcelle de terrain attenante à celle de Maria, pensant construire une petite maisonnette où inviter des proches. Je voulais que mes amis musiciens puissent profiter de toute la magie et la musique que ce pays pouvait offrir.Quand tout a fermé à la Nouvelle Orléans, j'ai décidé de retourner dans la jungle, et de commencer la construction.
Je faisais mes esquisses sur un petit carnet à carreaux et les donnais à mon charpentier José qui, avec ses trois fils, les transformait en réalité. Alors que la pandémie n'en finissait pas, ma vision ne faisait que grandir. Je suis devenue obsédée par l'architecture (un talent dont j'ignorais jusqu'ici l'existence). Et puisqu'il n'était plus question de faire des concerts, cette maison est devenue mon moyen d'expression artistique pendant toute la période de la pandémie.
La maison, baptisée ‘La Tucanera’, est passée de maisonnette à palace de trois étages dans les arbres, avec studio d'enregistrement intégré. José et moi avons travaillé en équipe à la construction pendant deux années entières.
Durant toute cette période, je vivais dans une tente, et, quand je n'étais pas en train de faire des esquisses, de prendre des mesures, de mélanger la terre et la paille, j'écrivais.
Quand la pandémie a pris fin, je suis revenue à New York avec une nouvelle fournée de chansons sous le bras. J'ai tout de suite appelé Jake : "Finissons ce que nous avons commencé." Jake avait désormais un vrai studio à Brooklyn, Keyboard Heaven.
Nous avons passé trois jours dans cette petite pièce sans fenêtres, seuls. Nous nous reposions sous le piano, je m'enregistrais croquant un cracker, secouant une bouteille d'eau - ce qui est devenu la base du groove de Beautiful Way. Les invités du disque nous rendaient visite - Abe Rounds, Jamison Ross, Wayne Tucker, Michael Valeanu…
Jake est intransigeant dans sa volonté de tirer le meilleur des artistes avec lesquels il collabore. Il peut passer des heures à chercher le son parfait pour une transition de trois secondes. Mixer le disque avec Jake et notre ingénieur Chris Connors fut une autre immense leçon. Jake est un perfectionniste, et je sais maintenant que ça en valait la peine.
Je terminais mon disque en même temps que ma maison.
8 Mars 2024. Date de sortie du disque. Ces chansons, tirées du plus profond de mon âme, largement inspirées par mon amour de la nature, étaient prêtes à sortir au grand jour, et moi à naître en tant que songwriter. Je me sentais à la fois euphorique et très vulnérable.
Brusquement quelque chose m'a frappé. Les paroles de cette chanson écrite il y a sept ans, la première pierre du projet qui devait exorciser mon chagrin, Inside and Out.
Nous nous retrouverons.
Je construirai une maison si solide pour que tu reviennes. J'ai juste besoin d'un peu de temps…
Des paroles si pleines d'espoir.
C'était des années avant de savoir que j'achèterai du terrain au Costa Rica, sans même parler de dessiner ma propre maison... Et je peux vous dire qu'elle est solide ! J'ai appris que les chansons que nous créons sont comme des sorts jetés. Elles racontent nos histoires pour mieux nous guider. Il suffit d'être curieux et d'écouter plutôt que de juger ou de comparer.
L'inspiration peut vous apporter une chanson qui sur le moment ne voudra pas dire grand chose pour vous. Si vous lui faites confiance, si vous lui laissez le temps, son sens se révélera. La chanson n'est peut être pas faite pour vous, mais pour quelqu'un d'autre. Toute chanson a sa raison d'être, sa mission, nous ne sommes que des messagers, des vaisseaux par lesquels elles peuvent transmettre leur magie, entrer dans le cœur des gens et les consoler.
Je me suis rendue compte que ces chansons, mes créations, étaient comme mes enfants. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
Comme certains d'entre vous l'ont peut être remarqué, j'ai récemment dû annuler brusquement toutes mes tournées. J'étais très émue de recevoir tous vos messages d'encouragement, et pleine de reconnaissance pour votre compréhension. Je vous dois une explication.
Je suis sur la route depuis environ 20 ans. Après la pandémie, bien que voyager semblait me demander toujours plus, physiquement et mentalement, je ne m'étais jamais arrêtée.
J'avais tant investi dans ce nouveau disque que je n'avais aucune intention de ralentir. Je me donnais à fond, chantant mes chansons partout dans le monde.
J'ai beaucoup appris sur moi même, mais ces deux derniers mois, je suis arrivée à un état d'épuisement complet et d'écroulement émotionnel.
Lors du dernier Mardi Gras à la Nouvelle Orléans, j'avais rencontré un homme et nous étions tombés amoureux fous. Nous nous étions jeté la tête la première dans cette belle aventure - je ne sais pas faire autrement - et nous parlions même de fonder une famille quelques mois après notre rencontre.
La phase de lune de miel a duré six mois. Mais il s'est avéré que beaucoup de choses ne lui convenaient pas, notamment la priorité donnée à ma vie artistique, et il s'est soudain mis à avoir beaucoup d'exigences.
J'ai passé un mois dans la plus complète confusion, essayant de comprendre comment changer pour le satisfaire, tout en changeant chaque jour de pays pour jouer.
Mon corps a fini par céder. J'ai fait une sérieuse crise de panique à l'aéroport de Denver, qui m'a forcé à rentrer me reposer. Une fois calmée, j'ai pris conscience du fait que l'insatisfaction de cet homme n'avait rien à voir avec moi.
Au milieu de tous ces bouleversements, j'ai appris que j'étais enceinte.
Difficile dans un premier temps de se réjouir, mais peu à peu les nuages se sont dissipés, et ont laissé passer le soleil, et la providence m'est apparue. Que disait la chanson ?
Nous nous reverrons... Je suis prête maintenant.
Je me suis préparée pour ce moment toute ma vie.
J'ai construit une maison, une carrière mondiale, plusieurs cercles d'amis, j'ai planté des arbres et travaillé dur pour affronter ce que la vie mettait sur mon chemin, et je me sens abondante. Je suis heureuse d'être mère célibataire. Il y a mille façons d'éduquer un enfant.
C'est le sens de tout ce disque. Le pouvoir créateur de la femme se manifestant dans l'AMOUR. "Je suis une déesse", comme chante Maria dans la jungle !
Je me sens si soutenue par vous, si honorée de continuer avec vous l'incroyable aventure de la vie, avec ses tournants soudains et ses péripéties, ses bons et mauvais moments, ses bienfaits et sa beauté cachés dans la boue.
Je suis aujourd'hui dans mon 2e trimestre, et cette nomination aux Grammys n'aurait pas pu arriver à un moment plus providentiel.
J'y vois une confirmation qu'il faut toujours choisir l'amour, être ouvert aux signes du monde, suivre son intuition et rester fidèle à soi-même. Laisser la peur n'être que l'aiguillon qui nous aide à grandir.
Merci du fond du cœur pour votre soutien inconditionnel, merci d'être ouverts à toutes mes explorations et de faire confiance à notre connexion par les paroles et la musique.
Je crois que la famille va bien au-delà du sang, et comme on dit, il faut tout un village ! Merci de me laisser être à fleur de peau.
Love, Cyrille